Présentation
À fréquenter Montaigne par la lecture, on se dit qu’on aimerait bien se mettre à table avec lui. Pourtant l’auteur des
Essais ne passe guère pour un fin gastronome. On a même prétendu qu’il était un mangeur peu délicat : la "science de la gueule" le laisse dubitatif ; ses connaissances en matière culinaire sont rudimentaires, au point qu’il avoue ne pas distinguer un chou d’une laitue et méconnaître "la diversité et nature des fruits, des vins, des viandes" ; il est incapable de "trancher à table", ne comprend pas la "police des sauces"… "Qu’on me donne tout l’apprêt d’une cuisine, me voilà à la faim." Désespérant !
À y regarder de plus près, on s’aperçoit pourtant que cette ignorance avouée ne signifie pas que l’homme soit indifférent aux choses de la table. Au contraire. D’abord, il a un bel appétit, et reconnaît même "manger goulûment" : "Je mords souvent ma langue, parfois mes doigts, de hâtiveté." Précipitation qui témoigne, au fond, d’un goût acharné de la vie et de ses voluptés naturelles.
Dans les
Essais, Montaigne ne dédaigne pas de nous livrer, et avec force détails, ses habitudes de table, ses mets préférés et les évolutions de ses goûts. Il nous dit comment il adapte son régime à ses difficultés de digestion, à l’âge, à sa maladie, sans renoncer pour autant aux "plaisirs naturels", à "jouir loyalement de son être" et à "vivre à propos", grâce à une attention soutenue envers "la culture du corps".
Enfin, lors de son périple à travers l’Europe, Montaigne aime découvrir et déguster les spécialités des contrées qu’il traverse, et se jette "aux tables les plus épaisses d’étrangers", fustigeant les hommes qui s’effarouchent "des formes contraires aux leurs" et nomment "barbarie" ce qui n’est pas de leur cru. Belle leçon d’ouverture culturelle.
Après avoir situé les propos de Montaigne sur la cuisine et les manières de table dans le contexte des modes alimentaires du xvie siècle,
La Table de Montaigne étudie successivement son savoir et sa sensibilité en matière culinaire, ses goûts et son appétit, les pensées que la cuisine lui suggère pour comprendre "l’humaine condition", et l’importance qu’il accorde aux mœurs alimentaires des "autres" pour entendre leurs cultures. Cette analyse repose bien sûr sur de larges citations et extraits des
Essais et du
Journal de voyage.
L'auteur
Christian Coulon est professeur émérite à Sciences Po Bordeaux. Il est spécialiste de l’Afrique et du monde musulman. Il a publié de nombreux ouvrages sur les identités et mobilisations religieuses et identitaires en Afrique au sud du Sahara.
Il s’intéresse aussi aux cultures culinaires du Sud de la France, comme expression des changements sociaux. Sur ce thèmes ses principales publications sont,
Le Cuisinier médoquin (2000, Editions Confluences),
Ce que "manger Sud-Ouest" veut dire (2003, Editions Confluences),
Festins gascons, "Cuisiner sa vie" (2005, Editions Confluences) et
La table de Montaigne (Editions Arléa, 2009).
Revue de presse
Audio : Christian Coulon à la librairie Mollat (Bordeaux), mercredi 18 février 2009.
Rencontre animée par Eric des Garets. Source : Mollat Podcasts
Le coup de fourchette de messire Michel de Montaigne, Bruno de Cessoles, Valeurs Actuelles, 26/02/09.
La table de Montaigne, sur le blog segolene.ampelogos.com/, 08/02/09.