Présentation
Ce livre n’est pas à proprement parler un livre de cuisine, même s’il est truffé de recettes que chacun pourra réaliser.
Il est plutôt une façon de raconter un pays. Parler de la cuisine d’un pays, c’est mettre celui-ci sur la table, le tester
des yeux, le humer, le déguster, le digérer. La cuisine est bien du domaine de la culture.
La cuisine est dans toutes les sociétés l’une des composantes essentielles de l’identité. Toucher à notre camembert
national, comme certains eurocrates semblent vouloir le faire, c’est porter atteinte à la spécificité française ; envisager
d’interdire le gavage des oies et des canards, c’est attaquer de front la civilisation gasconne ; et bien entendu, réglementer
de façon autoritaire et restrictive la chasse à la tourterelle, revient à déclarer une guerre "ethnique" à la
"République" du Médoc, ainsi que le proclament nos fusils les plus intransigeants.
Le présent ouvrage est donc une invitation gourmande à la découverte culturelle de notre presqu’île. Celle-ci est
célèbre pour ses vins, mais sa cuisine est moins connue ou alors banalisée dans des ensembles plus larges : le
Bordelais et le Sud-Ouest.
Ces pages convient donc le lecteur à la découverte de nos goûts et de nos usages de table, de nos spécialités
comme de nos plats les plus modestes ; ce qui est aussi un biais pour appréhender nos vins dans leur contexte local,
quand bien même ceux-ci prétendent à l’universalité.
Extraits
" [...] Nous sommes un peuple des bois et des eaux. Nous savons scruter le ciel et, comme saint François d'Assise, parler aux oiseaux. Avec les siècles, certaines des pratiques associées à cette "sauvagerie" ont pu s'estomper. [...] Cependant, au fond de nous-mêmes, nous demeurons ce que les
ethnologues appellent un peuple de "chasseurs-cueilleurs". [...] La chasse, la pêche, la cueillette sont dans notre esprit des pratiques qui sont beaucoup plus que matérielles ou ludiques ; elles sont les symboles d'une certaine forme d'autonomie et de liberté. "
(chapitre V
Le Médoc sauvage : la cuisine de la chasse et de la cueillette)
Les mets entretiennent avec les vins des rapports complexes. Il y a à ce sujet des idées toutes faites, des soi-disant vérités "scientifiques" qui tiendraient à la chimie du goût et que l'on nous ressasse à longueur de pages dans la littérature gastronomique et oenologique.
Commençons par ce truisme qui veut qu'un vin ne puisse s'apprécier qu'à table ? La cuisine et le vin forment-ils une union si parfaite ? Mon expérience en la matière me rend sceptique quant à cette assertion qui me paraît réductrice. Je parlerai plutôt de mariage à géométrie variable. Je soutiens que l'on peut boire sans manger, mais que l'on ne peut manger sans boire. Je m'explique.
La meilleure approche du vin est sa solitude et sa nudité. En effet, pour contempler un vin, pour être à son écoute, se laisser posséder par lui, mieux vaut un face-à-face sans intrusion de nourriture. La bouche doit être vierge et l'esprit libre. Le dépouillement permet la communion. [...]
Mais cette approche puritaine ne saurait être absolue. Tout simplement parce que boire, c'est être " ensemble", partager. Les "symposiums" des Grecs n'étaient-ils pas, littéralement, des assemblées de buveurs ? Le vin est aussi convivialité, fraternité : " Si tu peux te saisir d'un flacon de bon vin, bois-le en compagnie ", proclame en connaisseur Omar Khayam.
(chapitre VIII
Des mets et des vins : A boire et à manger)
L'auteur
Christian Coulon est professeur émérite à Sciences Po Bordeaux. Il est spécialiste de l’Afrique et du monde musulman. Il a publié de nombreux ouvrages sur les identités et mobilisations religieuses et identitaires en Afrique au sud du Sahara.
Il s’intéresse aussi aux cultures culinaires du Sud de la France, comme expression des changements sociaux. Sur ce thèmes ses principales publications sont,
Le Cuisinier médoquin (2000, Editions Confluences),
Ce que "manger Sud-Ouest" veut dire (2003, Editions Confluences),
Festins gascons, "Cuisiner sa vie" (2005, Editions Confluences) et
La table de Montaigne (Editions Arléa, 2009).
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