L'architecture du vin : une exposition thématique à Vienne (Autriche)
par Hans Hartje
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Le sujet n'est pas inconnu aux personnes fréquentant le site et les activités de CEPDIVIN (voir les articles en ligne sur ce sujet), mais il n'est pas pour autant de notoriété publique. Il est question de l'architecture du vin, et plus précisément de chais de conception récente, dessinés par des architectes en étroite collaboration avec des vignerons. Ce phénomène, on le rencontre aujourd'hui - mondialisation oblige - dans tous les vignobles du globe, mais il faut le dire, en nombre restreint, comparé aux chais et châteaux de style traditionnel, pour ne rien dire des constructions de type grange, hangar ou encore hall d'usine.
Le sujet est intéressant, car il apporte du neuf dans un domaine très profondément enraciné dans la tradition, pour des raisons aussi bien culturelles que viticoles à proprement parler. Quel amateur de vin n'a pas en effet succombé un jour au charme d'un cadre bucolique, où l'aspect naturel du paysage de la vigne était rehaussé juste ce qu'il faut par un bâtiment promettant abri et hospitalité, gîte et couvert? Cette promesse, par les temps marchands qui courent, a beau relever du mythe, il n'empêche qu'elle fait partie intégrante d'un cérémonial tel qu'il a été tout dernièrement encore mis en images alléchantes par le film Sideways - et n'en déplaise à Jonathan Nossiter dont le film Mondovino traite du même sujet, mais sur le mode de l'antiphrase.
En mentionnant deux films dans lesquels maint amateur de vin a pu se reconnaître comme en regardant dans un miroir, nous sommes paradoxalement au cœur du sujet, car ce qui est en cause, en ces temps de repères vacillants, n'est autre que l'image du vin, associée d'un côté à un ensemble de sensations physiques - les goûts, les odeurs, l'atmosphère -, et de l'autre à un ensemble de discours - les mots et ce qu'ils disent de nous et de la chose. Alors, qu'ont à nous dire au sujet de la nouvelle architecture du vin, les concepteurs de l'exposition WeinArchitektur/ WineArchitecture, à voir actuellement à l' Az W (Architekturzentrum Wien) à Vienne en Autriche ?
"De la cave au culte" : en résumant ainsi les enjeux du phénomène en question, les concepteurs de l'exposition et auteurs du catalogue laissent tout d'abord entendre qu'il a une histoire, qu'en plusieurs essais intercalés entre les brèves présentations (1-2 pages) d'une soixantaine de chais contemporains dans le catalogue ils s'efforcent d'analyser et de mettre en perspective. Toutefois, ce que ne disent ni le titre ni le sous-titre du catalogue, c'est que l'exposition est centrée sur la manière dont les viticulteurs a u t r i c h i e n s ont su, au cours des vingt dernières années, donner une nouvelle image à leur produit. Or ce cadre temporel, s'il correspond peu ou prou à la période où de nouvelles architectures du vin ont vu le jour dans les vignobles du monde entier, a une toute autre signification en Autriche. C'est en effet en 1985 qu'un scandale sans précédent a éclaboussé l'ensemble de la profession viticole autrichienne, après la mise à jour de pratiques frauduleuses très répandues, et ce n'est qu'en crevant aussitôt l'abcès à force de punitions exemplaires et en instaurant une nouvelle "loi du vin" extrêmement sévère, que les pouvoirs publics ont réussi à sortir la tête haute d'une crise qu'on a pu comparer à celle du phylloxéra. Le résultat - en fin de compte pas si paradoxal que ça - de cette purge en profondeur a été un bond qualitatif inouï. Parmi les moyens pour y parvenir, il y a l'architecture, et elle est visible un peu partout dans les villages et dans les vignobles autrichiens (la plupart des bâtiments présentés datent des années 1995-2005 et aucun n'a plus de vingt ans). L'effet le plus spectaculaire se lit toutefois dans les statistiques : après avoir touché le fond pour cause de boycott quasi universel, les quantités de vin autrichien exportées seraient passées en vingt ans de 45.000 à 764.180 hectolitres.
Ce que démontre bien l'exposition du Az W, c'est ce que l'exemple autrichien a de particulier. Ainsi les réalisations architecturales sont-elles généralement de petite taille, ce qui correspond à la structure traditionnelle du vignoble autrichien, tout en petites parcelles extrêmement différenciées en termes de sols et de cépages. Le renouveau a par ailleurs été facilité par des subventions européennes : le catalogue mentionne des chiffres s'élevant à plusieurs millions d'euros accordés au cours des dix dernières années à une centaine de projets. Il y a enfin la coïncidence entre l'évolution des comportements des consommateurs et l'émergence d'une nouvelle image de marque du vin en tant qu'élément déterminant d'un certain style de vie. Pour illustrer ce dernier changement, le directeur de l' Az W, Dietmar Steiner, rapporte, dans son avant-propos, des propos échangés par Fred Loimer, vigneron à Langenlois en Basse-Autriche, et Steven Holl, architecte new-yorkais. Ce dernier, pressenti à la fin des années 1990 pour concevoir le Loisium, une sorte de parc d'attractions viticoles, se serait étonné de trouver sur place déjà un exemple d'architecture contemporaine, contrastant fortement avec l'environnement bâti traditionnel qualifié de limite "kitsch" par le visiteur. Loimer lui aurait alors répondu qu'à la place de l'acheteur d'autrefois venu en Opel Kadett pour remplir son coffre de litrons, il y aurait désormais le client bobo arrivant en Porsche et sachant discuter millésimes, cépages et terroirs. Autres temps, autres mœurs.
Toutefois, en revendiquant pour l'Autriche et son architecture viticole récente un statut de merveille quasiment unique au monde et tout au plus semblable, quant à sa fonction de pionnière, à la "Silicon Valley" californienne, les organisateurs sont allés un peu vite en besogne en faisant notamment l'impasse sur un pays comme l'Espagne où le phénomène des chais d'architectes date de la fin du XIXe siècle ! César Martinell i Brunet, Josep Puig i Catafalch et Lluis Domenech i Montaner, pour ne rien dire d'Antoni Gaudi : voilà d'éminents auteurs de chais ayant réussi à créer un style propre et approprié aux lieux de fabrication du vin (voir "Les cathédrales du vin"), et il suffit de mentionner les architectes Bach & Mora (Bodega Raventos i Blanc, Sant Sadurni d'Anoia, Alt Penedes, 1986-88), Francisco Mangado (Bodega Marco Real, Olite, Navarra, 1989-90), Gaztelu y Fernandez (Bodega Señorío de Otazu, Echauri, Navarra, 1998) ou encore Jesús Manzanares (Bodega Alvaro Palacios, Gratallops, Tarragona, 1998-2000) pour montrer qu'en Espagne on ne se contente nullement d'engager des stars étrangères comme Gehry (Marquès de Riscal, Elciego, Rioja, livraison prévue en 2006) ou Foster (Bodegas Protos, Penafiel, Valladolid, livraison prévue en 2006) pour mettre en œuvre une architecture viticole innovante et de qualité ! (Des liens Internet vers la plupart des domaines ci-dessus mentionnés sont proposés par Philippe Margot : Architecture viticole contemporaine)
Or ce n'est pas le lieu ici de compléter une tentative d'inventaire qui, pour n'être pas exhaustive, n'en a pas moins l'immense mérite d'attirer l'attention d'un public de plus en plus avide de connaissances, sur une façon intéressante et intelligente de travailler à amélioration de la qualité d'un vin tout en lui forgeant, au besoin de toutes pièces, un nouvelle identité. Il n'y a qu'à espérer - avis aux amateurs ! - qu'après l'exposition d'intérêt régional de la Maison de l'architecture et du cadre de vie en Aquitaine (15/6 - 2/09/2005), d'autres lieux se trouvent pour pousser plus en avant un relevé, à visée locale ou globale, susceptible de nous réserver de belles surprises.
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© novembre 2005, Hans Hartje
Exposition jusqu'au 6 février 2006 à l' Architekturzentrum Wien. Catalogue WeinArchitektur. Vom Keller zum Kult/ WineArchitecture. The Winery Boom, Hatje Cantz Verlag, Ostfildern-Ruit (Allemagne) 2005, 224 p., nombreuses illustrations en couleurs, 32 Euros.
mise en ligne : 02/11/2005
Hans Hartje : né en 1959 à Bonn (RFA), est Maître de Conférences en littérature générale et comparée à l'Université de Pau. Il écrit sur l'architecture dans un quotidien et dans des revues. Il est l'auteur de l'article "Nouvelles architectures du vin" (in Le Vin dans ses Oeuvres, CEPDIVIN, Bordeaux, 2004, pp. 171-183) et vient de publier, avec Jeanlou Perrier, un ouvrage sur ce thème : Les plus beaux chais du monde, Artemis Editions, août 2005, 191 p.
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