Résumé
Le dix-neuvième siècle a rendu un hommage sans précédent aux joies culinaires. La société postrévolutionnaire démocratise le culte de la gourmandise jadis réservé à l'élite aristocratique : l'art de bien manger, l'importance croissante accordée aux règles d'un savoir-vivre font désormais partie des moyens mis en œuvre par une bourgeoisie toujours plus puissante pour s'affirmer en tant que classe dominante. Dans ce contexte, la cuisine devient objet d'un discours non seulement gastronomique mais aussi littéraire.
Dans le roman réaliste et naturaliste, le thème alimentaire renvoie à une réalité historique et socio-culturelle, qui est essentiellement celle de la seconde moitié du dix-neuvième siècle : l'apparition d'espaces privés et publics de la nourriture, la nouvelle importance qui revient à la table dans la vie sociale, les progrès des sciences naturelles et de la médecine, les grands enjeux sociaux. Mais au-delà de leur fonction mimétique, les repas fictifs représentent des éléments importants de la rhétorique et de la poétique dans les romans : réalistes mais pas réels, issus de l'imagination, ils sont le résultat d'un travail acharné sur l'écriture.
C'est à ces mots dont est faite la nourriture imaginaire que s'intéresse l'auteur à l'exemple de quatre écrivains gourmands de mets et de mots : Flaubert, Maupassant, Zola et Huysmans. A travers le motif du repas, lié autant au discours gastronomique de l'époque qu'à leur propre vie, ceux-ci racontent une réalité contemporaine filtrée, problématisée, contestée ou même refusée : en montrant des personnages à table, ou, au contraire, privés de nourriture, ils dévoilent des rapports de pouvoir, accusent des problèmes sociaux, se moquent de la comédie universelle de l'être et du paraître, réfléchissent sur les relations humaines, et révèlent ainsi un peu d'eux-mêmes entre sa banalité et son esthétisation à travers l'écriture, le repas imaginaire est l'expression personnelle d'une attitude face à la vie et face à la création littéraire.