Le goût et le pouvoir
Jonathan Nossiter
"Le combat pour l'individualité du vin, pour la survie du goût individuel face aux forces du nivellement, du pouvoir impersonnel (surtout lorsqu'il est exercé par une poignée d'individus), est donc un combat - comme celui qui se livre dans le monde du cinéma - qui nous concerne tous." Jonathan Nossiter
Présentation
Tout commence autour d’une bouteille de vin blanc mystérieusement défectueuse, que Jonathan Nossiter, cinéaste cosmopolite amoureux du vin (ou globe-trotter œnologue amoureux du cinéma) rapporte un beau jour à son caviste parisien préféré. C’est le point de départ d’un long voyage et d’une intense réflexion autour de cet objet si particulier qu’est le vin. Nossiter visite les caves et les plus grandes tables de Paris, nous convie à une dégustation à l’aveugle dans le sud du Brésil, et nous emmène surtout à la rencontre des vignerons de la Bourgogne, ahurissants personnages, farouches paysans et vrais seigneurs de la vigne. De rêveries proustiennes en dialogues sur le vif autour d’un gargantuesque repas, de réminiscences cinématographiques en plongées au cœur du fameux terroir français, de coups de gueule contre les "critiques de vin" en pâmoisons devant les plus belles bouteilles, une question en forme de fil rouge : Comment parler du vin ? Dans ce liquide "divin" autant que terrien, insaisissable et saisissant, Nossiter voit la quintessence de notre humanité, de notre mémoire, de notre identité. Mais le vin est aussi, en ces temps de mondialisation, un enjeu politique et culturel majeur. Enjeu de toutes les passions, de tous les snobismes, de toutes les rivalités – enjeu de tous les pouvoirs. C’est à la recherche de ce Graal (in vino veritas) que nous entraîne ce livre pareil à nul autre, profond et léger comme un Gevrey-Chambertin 2004 – ou comme certaine mystérieuse bouteille de vin blanc.
Revue de presse
"Fin devin" Jonathan Nossiter. 45 ans, réalisateur de "Mondovino", analyse le rapport entre goût et pouvoir dans le monde du vin. Libération, 25/10/07.
"Après le film et le feuilleton, Mondovino le livre ? Nossiter serait-il devenu une petite multinationale du goût à lui tout seul ? Le goût et le pouvoir, son premier livre, n’est pas une nouvelle déclinaison du documentaire. D’abord parce que la plupart des personnes épinglées ne veulent plus parler à celui qu’elles appellent "Nossifer", mais aussi parce que ce touche-à-tout s’ennuie vite, comme tous ceux qui pensent vite. C’est plutôt une balade dont le fil conducteur reste ce breuvage fabriqué par des hommes et digne des dieux. Au premier abord, l’ouvrage a l’air incohérent avec ses dialogues retranscrits in extenso, ses déjeuners d’amis qui se terminent en larmes, ses références mêlant œnologie, cinéma, économie, politique, philosophie et ses visites de cavistes parisiens ou d’exploitants de province. Au final, les chapitres mis bout à bout forment des sortes de fragments d’un discours amoureux sur le vin, et donc sur la vie. C’est une réflexion sur l’abdication volontaire et personnelle du goût, le goût étant, pour Nossiter, une affirmation de la liberté et de la dignité individuelles : c’est peut-être le stade ultime de la démocratisation, l’autoaliénation. Comme dans un polar, qui emmène le lecteur dans les caves d’Alain Ducasse, ou à la découverte du fooding de luxe de Robuchon, le «chef du siècle» se fait tailler en pièces, il fallait oser. Tous ceux qui n’y "connaissent" rien au vin, que le langage abscons de l’œnologie et de la grande gastronomie effraie, devraient lire ce livre à l’image de son sujet : aussi nécessaire qu’inutile." [+]
"Jonathan Nossiter: résister au formatage du vin et du cinéma" Pierre Haski, Rue89, 24/10/07.
Jonathan Nossiter a deux passions: le vin et le cinéma. Il a été sommelier, et fait des films. Et il porte un regard croisé sur ces deux univers qui peuplent ses rêves, un regard sévère et bienveillant, à la fois désespéré et plein d'espoir.
[...]
L'occasion pour lui de revenir sur la maladie commune qui contamine les deux univers qui le passionnent: le vin et le cinéma. Tous deux, estime-t-il, sont des "produits" culturels qui subissent depuis les années 80 les assauts croisés du marché et de la mondialisation, et qui sont devenus le terrain d'affrontement entre les forces de la standardisation et celles de la résistance du "terroir" ("au sens noble du terme, pas dans son sens franchouillard", s'empresse-t-il de préciser à chaque fois dans son français impeccable) [...]
A ce constat sombre, Jonathan Nossiter apporte le contrepoids, le constat qu'il est encore possible de faire de "bons" films et de "bons" vins, que les outils technologiques le permettent aujourd'hui comme rarement auparavant et qu'il y a de plus en plus de gens pour avoir envie de les produire. Une "résistance" au rouleau compresseur culturel et commercial global qui ne va toutefois pas sans difficultés
[...]"
Retrouvez l'intégralité de cet article, assorti de podcasts, sur le site Rue89
"Nossiter lance la guerre du goût" Jacques Dupont, Le Point, n° 1832, p. 116-118, 25/10/07.
"[...] Jonathan Nossiter nous invite à pousser un peu plus loin la réflexion sur un thème brûlant: le goût et le terroir. Réflexion à haut risque: vouloir définir le terroir et le défendre en tant que valeur fondatrice d'une civilisation, c'est s'exposer aux sarcasmes. Terroir, ringard, franchouillard, etc. L'insulte peut même aller jusqu'à Pétain et sa terre qui, elle, ne ment pas...
"La défense du terroir n'est pas synonyme d'un attachement réactionnaire et obstiné
à la tradition. Au contraire. C'est plutôt une volonté d'avancer vers l'avenir en demeurant solidement enraciné dans un passé collectif", répond l'auteur. Une défense qui rappelle curieusement un texte bien connu des historiens, le discours prononcé à la Sorbonne par Ernest Renan en 1882 et qui répondait à la question: "Qu'estce qu'une nation?" "Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; l'autre est le consentementactuel, le désirde vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis."
Renan, le grand intellectuel du XIXe siècle, philologue, historien des religions, en complicité avec Nossiter, "le juif américain, un peu français, vrai citoyen du monde", qui vit au Brésil et habite cinq langues, cela peut surprendre. Et pourtant: "Le terroir n'est pas une chose fixe, en termes de goût ou de perception. C'est une forme d'expression culturelle qui n'a jamais cessé d'évoluer", dit Nossiter.
Renan avait eu cette formule: "L'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie." Nation, terroir, quel est le lien?
"Je n'ai jamais lu ce texte, mais je suis d'accord avec ton ami Renan. Un peuple à qui on vole son histoire, son goût, ce que moi j'appelle son terroir, renonce à sa liberté."
Le danger qui menace le terroir, et donc la liberté, aujourd'hui, serait d'assister à la victoire d'un goût "homogénéisé", universel. Un goût sucré, vanillé, simple, qui l'emporterait sur celui de la complexité qui englobe l'amertume et l'acidité. En clair, de ne disposer dans quelques années que de chablis édulcorés dont l'acidité aura été corrigée grâce à un apport de sucre, ou de bordeaux parfumés comme des sodas ou des bonbons roses. "C'est ce que j'appelle le goût biberon, qui nous infantilise et nous coupe de notre mémoire collective." C'est le vin standard, destiné à plaire au plus grand nombre, que l'on produit dans le Nouveau Monde, notamment en Argentine, une boisson qui répond aux demandes des "metteurs en marché", ennemie de la diversité et de l'effort. "Témoigner, préserver la mémoire est au fondement de toute civilisation. Le vin, c'est la mémoire sous sa forme la plus fluide et la plus dynamique. [...] Les hommes de pouvoir craignent le goût, parce que l'expression du goût replace le pouvoir entre les mains de l'individu, l'éloignant des voix de l'autorité, de la corporation, de l'institution, de 1 Etat. [...] Le politiquement correct n'est rien d'autre qu'une suppression délibérée des goûts qui nous sont propres."
[...]" [+]
"Goût et dégoûts de Jonathan Nossiter" Les Bonnes feuilles du livre du réalisateur de Mondovino. Extraits présentés par Gérard Muteaud, bibliobs.nouvelobs.com, 29/10/07.
"[...] Mêlant volontiers références œnologiques et cinématographiques - avec notamment un brillant parallèle entre l'acidité du vin et la lumière au cinéma - l'auteur nous embarque pour un voyage au pays des merveilles, là où des vignerons sincères s'échinent à tirer de leur vigne l'expression d'une histoire et d'un sol qui souvent les dépassent. Des vignerons-artistes, le plus souvent bourguignons, qui à l'image de Dominique Lafon, Christophe Roumier et Jean-Marc Roulot et Alix de Montille sont à la recherche permanente du Graal, cette synthèse idéale entre le raisin, l'histoire, la passion et le talent.[...]" [+]
"Le Goût et le pouvoir - Essai - Jonathan Nossiter" Vincent Remy, Telerama, n° 3018, 17/11/07.
"[...] Lorsqu'il parle des vins de Bordeaux, le polyglotte Nossiter, qui a aussi le goût des mots, dit qu'ils « ont le poids physique d'un roman ». Le narratif est "bien lisible", la structure "claire et logique". Tandis que les bourgognes, aux goûts "imprévisibles", offrent une "perception contradictoire, du moins ambiguë", et nous entraînent "dans le monde de Mallarmé, Ezra Pound ou des fragments de poésies lyriques grecques". Mais le cinéaste reprend vite le dessus, lorsqu'il s'extasie devant le cépage unique de la Bourgogne - pinot noir - décliné par une multitude de vignerons, et qu'il file la métaphore du raisin comédien : "Imaginez Marcello Mastroianni à Cinecittà, qui tourne le matin avec Fellini, le midi avec Mario Monicelli, l'après-midi avec Scola et le soir avec Antonioni..." Pas d'afféterie culturelle, pour autant, ni d'intimidation, dans cet "antiguide" du vin. Nossiter nous invite à dire simplement d'un vin : "Il m'a ennuyé", comme on le dirait d'une personne, d'un film ou d'un livre. Et il nous recommande surtout de tracer notre propre chemin, comme il aime à le faire : partir, par exemple, une journée enneigée, sur les pas d'un vigneron-star du meursault qui a choisi un petit terroir du Mâconnais, un des premiers vignobles plantés par les moines de Cluny, pour cultiver la vigne en biodynamie, avec abeilles au milieu des ceps et taille en lune descendante.[...]" [+]
"Les mots du vin" Laurent Dandrieu,Valeurs actuelles, le 16/11/2007.
"Savoir goûter le vin, c’est aussi pouvoir en parler, en bonne compagnie – c’est-à-dire en compagnie de gens qui ne bouchonnent pas le plaisir par la pédanterie, qui ne confondent pas le savoir avec un jargon abscons et terroriste, qui se souviennent que le mot juste est celui qui est au plus près du naturel.
Il est bien rare que, selon le souhait de Jacques Laurent, "les couleurs, les consistances, les parfums, les saveurs et les arrière-saveurs (rencontrent) avec une justesse infaillible les mots qui leur (conviennent), qui (sont) faits pour eux". Il est plus fréquent, en revanche, d’être frappé par ces "ondes de poésie frauduleuses" dénoncées par Jonathan Nossiter dans le Goût et le Pouvoir, façon "arômes épicés de fleurs de lys et de magnolias, et peau douce d’abricot de Lorraine avec explosion de fruits des bois automnal", qui donnent l’impression douloureuse d’être englué dans un écœurant "dictionnaire des synonymes du goût".
Après Mondovino, son documentaire remarqué sur la mondialisation du goût dans l’univers du vin, Jonathan Nossiter poursuit son enquête avec ce livre désordonné, foisonnant, parfois agaçant par ses partis pris mais plein de réflexions fécondes sur l’identité, le terroir, le plaisir et les mots. Enquête sur ce qui, dans un grand vin, suscite l’émotion, le livre de Jonathan Nossiter est aussi une enquête sur la façon de traduire cette émotion en mots. Parce qu’il n’y a pas de partage du plaisir sans cette capacité de mettre un nom précis sur les sensations, le vin a naturellement partie étroitement liée avec la langue – et donc avec la littérature.
Aussi est-ce tout naturellement qu’essayant de cerner ce qui différencie bordeaux et bourgognes, Jonathan Nossiter a recours à la littérature : les bordeaux lui évoquant l’univers bourgeois et cohérent du roman XIXe, tandis que les bourgognes "ressemblent beaucoup plus à la poésie qu’à la prose".[...]" [+]
Pour aller plus loin
MONDOVINO : "Où il y a de la vigne, il y a de la civilisation"
Dossier sur le film de Jonathan Nossiter : revue de presse, débat, liens...
Robert Parker, Anatomie d'un mythe
Le portrait du dégustateur américain Robert Parker par Hanna Agostini, qui a été sa collabotratrice pendant de nombreuses années.
mise en ligne : 26/10/07
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