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Journée d’études “Autour de l’ivresse”
21 mars 2013 – Université Toulouse – Jean Jaurès
Sous la direction de Marine le Bail, Loren Gonzalez et Hannes de Vriese
Comité de lecture : Fabienne Bercegol, Pascale Chiron, Jean-Yves Laurichesse et Sylvie Vignes
Introduction
Le 3e ange sonna de la trompette. Et il tomba du ciel une grande étoile ardente comme un flambeau ; et elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. Le nom de cette étoile est Absinthe ; et le tiers des eaux fut changé en absinthe, et beaucoup d’hommes moururent par les eaux parce qu’elles étaient devenues amères.
[Apo. 8 :10-11 [1]]
Des écarts de conduite de Noé, retrouvé ivre par ses fils peu après le Déluge (Gn. 9 :21-24) à l’établissement de l’Eucharistie, en passant par les Noces de Cana et le stratagème de Judith pour tromper Holopherne, la Bible, cette œuvre « totale » où sont dépeintes les splendeurs et misères de la condition humaine, est ponctuée d’épisodes où le vin et l’ivresse occupent une place symbolique essentielle. Est-ce à dire que, plus que le rire, l’ivresse est le propre de l’homme ? N’est-elle pas, du moins, le propre de toute expérience extatique ?
Des Ecritures à l’écriture, il n’y a qu’un pas, et que ce soit dans l’Apocalypse de Jean (Ier siècle) ou dans l’œuvre de romanciers contemporains tels qu’Edouard Glissant ou Patrick Chamoiseau, l’ivresse occupe une place prépondérante dans la littérature et l’histoire littéraire. De l’ivresse extatique des berserkir, ces anciens guerriers-fauves dont parlent les sagas médiévales islandaises, aux paradis artificiels de Baudelaire, l’ivresse a traversé avec la même vigueur les siècles [2] autant que les genres littéraires, dans lesquels elle semble s’être si généreusement déversée par la grâce de l’écriture.
On la retrouve d’ailleurs aussi bien dans la littérature prophétique que dans la littérature narrative, en particulier dans le roman : songeons par exemple, entre autres œuvres célèbres, à la place occupée par le vin dans l’œuvre de Rabelais, ou bien à la description fantasmatique de l’alambic dans L’Assommoir. Intimement lié aux cérémonies liturgiques pendant la période médiévale, notons par ailleurs que le théâtre faisait entièrement partie de l’office divin à cette époque, avant de se dévergonder en fabliaux, parmi lesquels certains n’ont pas manqué de mettre en scène des moines plus ou moins coutumiers du vin de messe…En matière de poésie enfin, Baudelaire a bien sûr rendu magistralement hommage à l’ivresse dans son œuvre, avant que Rimbaud n’en fasse un véritable principe poétique, corrélé à la nécessité fondamentale d’un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens [3] ».
Loin de n’être qu’un simple thème littéraire dans lequel l’on a certes pu se laisser baigner avec bonheur, l’ivresse s’impose en effet comme un principe créateur par lequel la parole poétique tend à se libérer en cessant d’être linéaire pour effacer, dans l’élan de sa vigueur, toute espèce de frontière voire…celles imposées par la versification. Plus qu’un sujet à écrire, l’ivresse est un moyen d’écrire, inscrit dans le mouvement de la création littéraire, incarnant tour à tour sa vitalité et sa langueur, son énergie et sa mélancolie, ses impulsions contradictoires, sa folie. Comme le montreront certaines des communications présentées lors de cette journée d’étude, l’ivresse en tant que principe artistique se situe d’ailleurs aussi bien dans le processus de création que dans celui de sa réception : ainsi, chez le lecteur ou le bibliophile, l’ivresse n’est-elle pas l’expression, libérée de toute espèce de tabou, d’une boulimie de livres et de curieux excès ?
Là, dans ces diverses manifestations déchaînées du corps et de l’esprit, réside toute la richesse des communications proposées ici à ce sujet ; mais aussi variées soient-elles, leurs conclusions nous permettront de mieux comprendre que l’ivresse signifie aussi bien l’excitation d’écrire que le plaisir de s’enivrer de la parole littéraire, versée ou déversée, parole entêtante ou superbement vomie dans l’esthétique rabelaisienne de la logorrhée. Les différentes études proposées lors de cette journée promettent à ce titre d’explorer différentes facettes de l’ivresse : chez quelques auteurs francophones contemporains, elle sera considérée en tant que motif ou alibi littéraire, « motif trouble et initiatique » selon les termes de Hannes de Vriese. Mais l’ivresse n’est-elle pas aussi une forme de boulimie littéraire, ivresse de la lecture autant que de l’écriture ? Ivresse « classique » pour Etienne Maignan, ou plus sensuelle, ivresse aussi d’accueillir le livre comme on goûte une liqueur corsée ; ivresse du style, à la fois dans la littérature des XIXe et XXe siècles, mais aussi – chose nouvelle dans notre laboratoire – dans l’écriture cinématographique.
Autant de perspectives séduisantes qui méritent que l’on ne s’attarde pas trop dans ces prolégomènes, si ce n’est pour remercier chaleureusement tous les participants, doctorants ou futurs doctorants de l’équipe ELH, qui ont œuvré à la réussite de cette journée d’études annuelle qui, une fois encore, présente l’intérêt et l’originalité d’une rencontre entre doctorants, jeunes chercheurs et étudiants de Master II Recherche (UFR de Lettres Modernes), dont nous ne pouvons que saluer les communications riches et passionnées.
Nos plus sincères remerciements vont également à tous les enseignants chercheurs qui ont animé les débats et prêté une oreille attentive aux propos tenus lors de cette journée d’étude, ainsi qu’à Mme Fabienne Bercegol, directrice de l’équipe, sous le patronage bienveillant de laquelle s’est déroulée cette journée et qui nous a patiemment accompagnés dans la réalisation de cette publication. A cet effet, nous tenons en dernier lieu à saluer particulièrement le travail de Marine Le Bail et de Hannes de Vriese, avec lesquels il est toujours si agréable de travailler, et qui ont eu la gentillesse de coordonner le travail de publication consécutif à ce qui reste comme le souvenir d’un moment privilégié dans la vie de l’équipe ELH.
Loren Gonzalez.
[1] Trad. Louis Segond dans La sainte Bible, trad. d’après les textes originaux hébreu et grec, Paris, Alliance biblique universelle, 1963, p. 1256.
[2] Même de celui de la Prohibition.
[3] Rimbaud A., Lettre à Paul Demeny, dite « Lettre du voyant », 15 mai 1871.
Sommaire
Carte blanche aux étudiants du Master Recherche
- Anaïs Michel (dir. P. Maupeu) : « Le ms 815 de la bibliothèque de Toulouse : texte et image, une approche herméneutique ».
- Cécile Noilhan (dir. J.-F. Courouau) : « La Seconde Guerre Mondiale dans la poésie en langue d’oc».
- Rachel Haziza (dir. P. Chiron) : « De la lettre à l’Être : l’omniprésence des corps dans l’œuvre de François Rabelais » .
- Madeleine Chiffre (dir. S. Vignes) : « L’alcool et les Amérindiens : une représentation québécoise contemporaine dans Cowboy de Louis Hamelin ».
- Léonard Bertos (dir. O. Guerrier) : « L’éthique de l’ivresse et la symbolique du vin dans l’œuvre de Rabelais ».
Ecriture de l’ivresse, ivresse de l’écriture
- Loren Gonzalez (dir. D. Lacroix) : Introduction
- Étienne Maignan (dir. F. Bercegol) : « À propos d’une note de Julien Benda sur Anthinéa de Charles Maurras : ivresse classique ou romantisme de la raison ? ».
- Marine Le Bail (dir. F. Bercegol) : « Ivres de livres : ivresse sensuelle et érotisation de la possession chez les bibliophiles du 19ème siècle » .
- Hannes De Vriese (dir. J.-Y. Laurichesse) : « L’ivresse chez Glissant et Chamoiseau : un motif trouble et initiatique à la densité opaque des paysages faulknériens et antillais ».
- Rémi Gonzalez (co-dir. de J. Dürrenmatt et I. Serça) : « Ivre d’images et saoulé de paroles, la figure du narrateur cinéphile obsessionnel chez Tanguy Viel » .
Source :
Autour de l’ivresse. Journée d’études du 21 mars 2013. Université Toulouse – Jean Jaurès. [En ligne.] Publié le 20 novembre 2014. Disponible sur : http://plh.univ-tlse2.fr/accueil-plh/ressources-en-ligne/colloques-et-journees-d-etude-en-ligne-textes-publies/autour-de-l-ivresse–344663.kjsp?RH=1416493155888 (Page consultée le 28/06/2015).
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