Frédéric Chef | Jean-Claude Pirotte, réfugié en poésie
Jean-Claude Pirotte, A Saint-Léger suis réfugié
Note de lecture, par Frédéric Chef
Les poètes ne meurent pas […] Pirotte est assis tout près de nous, un verre de vin jaune à la main.
On savait que Jean-Claude Pirotte jouait avec la mort depuis longtemps, s’offrant de magnifiques sursis, évitant les banderilles de la maladie, déjouant les pièges du destin. Mais le 24 mai dernier, la mauvaise nouvelle est tombée : Jean-Claude a rejoint les poètes immortels. Dans la grande cour du ciel, il tutoie désormais Verlaine et Armen Lubin, Henri Thomas, Jean Follain et André Dhôtel. Pour la première fois, votre serviteur entame une triste chronique, celle d’un livre posthume, que son auteur avait livré à l’Arrière-Pays, éditeur scrupuleux des poètes de grand choix, dont Pirotte fait partie. Les poètes ne meurent pas, ils vous tiennent chaud dans un monde où il fait frisquet. Je me refuse à prononcer les mots qui fâchent : Pirotte est assis tout près de nous, un verre de vin jaune à la main.
A Saint-Léger, quelque part en Champagne pouilleuse, Pirotte avait posé ses valises, provisoirement : définitivement perclus / me voici donc ici reclus / à Saint-Léger clos des Garennes / attendant que la mort me prenne. Depuis quelques années, il remplissait des carnets de poèmes jaillis par milliers, comme dictés par l’urgence de vivre, les livrant à ses familiers, lecteurs fervents qui le suivaient “à la trace”. Dans ce petit recueil de pensées familières versifiées, il parle franchement : je ne vivrai plus longtemps / j’aimerais passer le temps / qui me reste à revenir / sur mes projets d’avenir. Le ton serait plutôt sombre, si une délicate mise à distance du poète avec cet autre qui vieillit ne recouvrait ces vers : je suis un adulte immature / qui de sa vie attend la fin. Pirotte enregistre les menus faits, les moments ordinaires, guette les signes. Il fait le bilan d’une existence qui fut celle d’un éternel adolescent rêveur, son double, qui fit le choix de ne pas vivre dans le monde qu’on sait, où se prendre au sérieux tient souvent lieu de qualité : depuis que je suis tout petit / j’ai voulu devenir grand / maintenant que je suis grand / je redeviens tout petit. Il est question aussi du passage de certaines ombres, de voix perdues, du retour des éternelles questions sans réponses devant la vie et le reste…
Je vous livre un poème in extenso, avant que de me taire, relire Jean-Claude, mon ami, parti vers d’autres garennes…
un poème d’après-midi
dans une atmosphère immobile
on dirait presqu’un paradis
si le temps n’était pas mobileet ne traversait le jardin
comme le merle à cet instant
dans une lumière d’étain
si le temps n’était pas le tempset ne laissait l’après-midi
à la merci des contredits
si le jour n’était pas à jouret pouvait faire demi-tour
si les busards et les autours
n’annonçaient pas la fin du jour
Frédéric Chef, juin 2014.
Jean-Claude Pirotte, A Saint-Léger suis réfugié, L’Arrière-Pays, juin 2014, 72 pages, 11 € Editions L'Arrière-Pays 1 rue de Bennwihr 32360 Jégun Site internet
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