Pirotte | La tentation du sonnet
Jean-Claude Pirotte : Gens sérieux s’abstenir ou La tentation du sonnet
Jean-Claude Pirotte, Gens sérieux s’abstenir, Le Castor Astral, 2014, 110 pages.
“Sonnets sonnants, trébuchants, sonnets précis, sonnets vagues : Jean-Claude Pirotte versifie comme il respire et quel que soit l’air qu’il respire. Gens sérieux s’abstenir est le recueil d’une centaine de sonnets plus ou moins réguliers et peu importe. En poésie, c’est le poète qui poétifie, selon les règles auxquelles il se fie. N’empêche, la contrainte est celle de l’heptasyllabe, à peu près respectée. Le vers se fait élastique jusqu’à l’alexandrin aléatoire, parfois. Pirotte traque sans combattre un furtif sonnet, s’amusant du piège qu’il s’est tendu de versifier son quotidien en mesure, l’ordre corseté du sonnet l’obligeant à débusquer la rime et fourbir deux quatrains puis deux tercets : je n’ai de goût /que pour l’ampoule et le drapé le style /et la perversité de l’inutile.
Voilà pour la forme, très en forme, avec un humour dévastateur qui fera mentir les grognons raillant un auteur en grisaille. Rien n’est moins vrai ici, tant il s’agit d’écrire des sonnets comme on tisse une toile /dans le vaste univers brillant des arachnides /où le temps est réglé par décret des étoiles. Les minutes font leur sale boulot sur nous tous, Pirotte se bat contre ce qui lui reste à vivre avec le panache et l’uppercut des humoristes noirs. Noir léger ou noir profond, toutes nuances : je deviens la mort qui court /à mes basques son discours / je le prononce moi-même. Le poète est celui qui prend les devants et le taureau par les cornes, fixant les règles d’une vie éloignée de l’argent facile, des écrans surchauffés, de l’heure d’été, des prémonitions absolues de l’incendie planétaire, de la fonte des glaces, des pilules roboratives et du rétrécissement du minimum vital.
Revient la nostalgie d’une enfance si loin, si proche, que la laisse du poème retient : j’ai plus de septante ans je rêve /comme un vieux gamin de sept ans / je me promène dans la neige /à la recherche du temps. Pirotte se défend d’avoir un avenir – ses semblables en sont persuadés – vivant au jour le jour : l’avenir est un marécage /de cambouis où nous pataugeons. Il y a matière aussi à l’hommage, comme toujours chez Pirotte, aux Ludions de Léon-Paul Fargue, un compagnon /sans égal un vrai mentor, aux Cent mille milliards de poèmes de Queneau et leur mécanique oulipienne, ou encore à Franck Venaille quand il effectue la descente de l’Escaut.
Pirotte, en fin de compte, doute de l’expérience qu’il mène et, avec une autodérision salutaire, reconnaît ne pas savoir où il va : j’ai voulu les faires boiter /ces misérables sonnets /comme moi-même je boitais /et boite encore en ces années. C’est parfaitement réussi, pense le lecteur, que cette poésie délassera des formes sans forme et d’une certaine préciosité souvent involontaire des “poètes”. Conclusion : ce poème est casse-gueule /je n’aurais pas dû l’écrire /et mieux vaudrait le détruire. Le chroniqueur se dit la même chose devant son papier gondolé.
Frédéric Chef, mars 2014.
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