Jean-Robert Pitte | La bouteille de vin : Histoire d’une révolution
Jean-Robert Pitte, La bouteille de vin : Histoire d’une révolution, Editions Tallandier, 2013, 320 pages.
Présentation de l’éditeur
Par leurs formes qui varient dans le temps et d’une région à l’autre, les bouteilles de vin racontent une histoire passionnante.
Cet ouvrage novateur le montre avec beaucoup de science et de verve. Jamais les vins n’auraient pu vieillir à l’abri de l’air et de la lumière et jamais la personnalité des terroirs et des millésimes n’aurait pu se révéler avec autant d’éclat sans l’invention de la bouteille.
La révolution date du Ier siècle de notre ère, c’est la mise au point de la canne à souffler. Au début du XVIIe siècle, les productions européennes, trop fragiles, ne peuvent servir à déplacer des liquides à longue distance. C’est alors qu’un pays importateur, l’Angleterre, réalise la bouteille en verre épais et noir, élaborée dans un four chauffé au charbon. Les mêmes Anglais découvrent au Portugal les vertus du liège qui permet un bouchage hermétique et de confier aux bouteilles du vin de qualité, de les coucher, les transporter et les conserver. Bientôt ils inventent encore le champagne mousseux que les Français ne confectionneront qu’à partir de la Régence.
Les bouteilles d’outre-Manche sont en oignon, en poire, puis cylindriques à épaules plus carrées. Les françaises, elles, sont plutôt ovoïdes, à épaules tombantes, tant en Champagne et en Bourgogne qu’à Bordeaux où, au XIXe siècle, s’impose la forme cylindrique à épaules carrées. À côté de ces deux grands modèles, certains vignobles en ont imaginé d’autres : la flûte rhénane, la fiasque paillée de Toscane, le bocksbeutel en forme de gourde de Franconie, le clavelin du Jura, la petite bouteille à col allongé du Tokaji ou du constantia sud-africain, etc.
Extrait de l’avant-propos
C’est en Bourgogne, vers le milieu des années 1960, alors que je découvrais dans la jubilation le goût du bon vin, que j’ai été frappé par l’étrangeté des bouteilles anciennes, soufflées à la bouche, par leurs formes irrégulières, la présence de bulles incluses dans le verre, le cul coupant de certaines, leurs couleurs si diverses, brunes, vertes, noires, souvent sombres, parfois claires, rarement incolores. Certains vignerons qui ne savaient pas grand-chose à leur sujet, mais en avaient hérité de leurs ancêtres, les trouvaient vénérables et jolies, s’en servaient pour y mettre leur vieux marc et les posaient sur la table à la fin des repas. En 1970, alors que je travaillais sur les vignobles alors moribonds du Bugey, un carrefour culturel en même temps qu’un conservatoire d’archaïsmes, on en trouvait beaucoup. J’ai commencé à repérer la diversité de leurs formes et cherché à mieux comprendre leur histoire et leur géographie.
Deux et trois décennies plus tard, l’ouvrage de Jacqueline Bellanger (1988), puis ceux des grands collectionneurs privés étrangers, Rainer Kosler (1998), Johan Soetens (2001) et surtout Willy Van den Bossche (2001), qui frôlent l’exhaustivité et couvrent toute l’Europe et l’outre-mer, m’ont convaincu de chercher à comprendre les ressorts de cet univers. Grâce à leurs illustrations, ils fournissent les matériaux d’une étude approfondie qu’à ma connaissance aucune collection publique européenne ne présente aujourd’hui. J’ai tenté d’ordonner ces objets, chronologiquement et géographiquement, et d’en éclairer l’évolution et la diversification, sujets qui m’interrogeaient davantage encore depuis la rédaction, il y a quelques années, d’un livre sur la rivalité entre le bordeaux et le bourgogne, laquelle s’exprime en particulier dans deux modèles de bouteilles nettement différenciés et irréductibles l’un à l’autre depuis le début du XIXe siècle. Les viticulteurs du monde entier se rattachent aujourd’hui plutôt au modèle du premier, et dans une moindre mesure au second ; quelques régions conservent ou ont récemment inventé leur propre modèle ou une variante de l’un des deux principaux.
Le présent essai a pour dessein de mettre en valeur le rôle essentiel des bouteilles dans l’histoire moderne et contemporaine du vin. Sans ce contenant lourd et quasiment étanche dès lors que le bouchage du goulot est de qualité, jamais les vins n’auraient pu vieillir à l’abri de l’air et de la lumière, et jamais la personnalité des terroirs et des millésimes n’aurait pu se révéler avec autant d’éclat. Jamais non plus le vin de Champagne ne serait devenu mousseux. De plus, par leurs formes variant dans le temps et d’une région à l’autre, les bouteilles racontent une histoire complexe conjuguant la nature des matières premières, la maîtrise des techniques verrières, les modes d’élaboration, de conservation, de transport et de commercialisation du vin, mais aussi les goûts esthétiques et les représentations des producteurs, de leurs clients et de tous ceux qui ont pour profession de les rapprocher. Les bouteilles expriment la géographie des vins de France, d’Europe, du monde. Les grands types régionaux n’excluent pas les variantes que l’évolution des techniques verrières rend de nouveau possibles à un coût raisonnable. Elles sont, comme les étiquettes, au service de la personnalité de chaque domaine. C’est la Champagne qui a poussé le plus loin ce souci d’originalité, ce que le prix de vente des cuvées de prestige autorise sans difficulté, tout comme les producteurs de cognac dans le domaine des spiritueux.
L’auteur
Membre de l’Institut, président de l’Académie du vin de France et président de la Société de géographie, Jean-Robert Pitte s’est spécialisé dans la géographie culturelle. ses derniers travaux de recherche portent essentiellement sur la géographie de la gastronomie et du vin : Histoire du paysage français : De la préhistoire à nos jours (1983) ; Le vin et le divin (2004) ; Bordeaux-Bourgogne, Les passions rivales (2007) ; Le désir du vin à la conquête du monde (2009).
AUTEUR : Pitte, Jean-Robert
TITRE : La bouteille de vin : Histoire d'une révolution
EDITEUR : Editions Tallandier
FORMAT : Broché, 21,4 x 14,6 x 3 cm, 320 pages.
ISBN : 9791021001138
PRIX PUBLIC : 26,80 Euros
PARUTION : 09/05/2013
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