Vin, arômes, couleurs et descripteurs sensoriels :
quel partage de la dégustation ?
Joël CANDAU
Laboratoire d'Anthropologie "Mémoire, Identité et Cognition Sociale" (LAMIC)
Laboratoire de Sciences cognitives
Université de Nice-Sophia Antipolis
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Selon l'hypothèse dite Sapir-Whorf du déterminisme (ou du relativisme) linguistique, les mots organisent les catégories qui nous servent 1)à connaître le monde et 2)à partager cette connaissance. Sévèrement critiquée, cette hypothèse revient pourtant régulièrement sur le devant de la scène scientifique. Toutefois, quand on la confronte à l'expérience de la dégustation, on rencontre trois types de difficultés : 1)celle-ci fait intervenir massivement l'odorat puisque le goût, pour l'essentiel, emprunte la voie rétronasale. Or, le langage naturel des odeurs se caractérise par son imprécision et son instabilité. Comment, dans ces conditions, peut-il contribuer à structurer une expérience olfactive et sapide d'autant plus riche et complexe qu'elle est le produit d'un continuum de perceptions ? 2)paradoxalement (mais on peut montrer que le paradoxe n'est qu'apparent), le vocabulaire utilisé par des amateurs de vin avertis est souvent bien plus riche que les stimuli qu'ils sont en mesure de percevoir, selon l'avis même des professionnels de la dégustation (œnologues, sommeliers). Le fait que la verbalisation (la "description") excède dans ce cas les propriétés organoleptiques du produit dégusté est-il compatible avec l'hypothèse whorfienne ? 3)il n'y a pas d'acte sensoriel ! Seuls existent des actes multisensoriels. Toute expérience du monde, en effet, fait intervenir plusieurs sens. Or, l'existence d'un véritable langage multisensoriel fait défaut, condition pourtant nécessaire, là encore, pour valider l'hypothèse de Whorf-Sapir. Dès lors, peut-il y avoir partage par des individus de cette expérience sensorielle singulière que constitue une dégustation ? Dans l'affirmative, comment ? Et quelle est la nature de ce partage ?
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