C.-F. Ramuz par Théodore Stravinski, 1932. (Musée de Pully)
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Charles Ferdinand Ramuz
Né à Lausanne le 24 septembre 1878, mort le 23 mai 1947, à Pully, près de Lausanne. Après une licence de lettres classiques à l'Université de Lausanne, il enseigne au collège d'Aubonne (Vaud), puis est précepteur à Weimar (Allemagne). Dès ses premiers textes, en 1905, Ramuz développe ses grands thèmes : solitude de l'homme face à la nature, la poésie de la terre. A partir de 1914, Ramuz mène en Suisse une vie retirée. Dans les œuvres de la maturité, le lyrisme est au service d'une vision tragique de l'homme et les personnages incarnent de grands projets mythiques : La beauté sur la terre (1927), Adam et Eve (1932), Derborence (1934), Le garçon savoyard (1936). La critique, en particulier en France, accueillera très mal les audaces stylistiques et les libertés de composition narrative dont fait preuve Ramuz qui souffre également de l'étiquette d'écrivain régionaliste.
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"Ouvrir l'accès du langage aux réalités sensibles pour lesquelles il n'y a pas de mots tout faits, donner force d'expression aux objets simples dont la présence est opaque et muette, écrire - plutôt que décrire - un geste ou un paysage dans leur apparition indécomposable : telles sont les exigences que cherche à satisfaire l'art très volontaire et très obstiné de Ramuz " (Jean Starobinski) La vigne, le vin et le temps de la mémoire
Vendanges, Editions Séquences, Rezé, 2002.
Lorsqu'il écrit Vendanges (1927), Ramuz a quarante-neuf ans. Ce texte est une tentative de reconstituer, à partir de souvenirs fragmentaires, l'unité de l'enfance et l'unité du paysage, pour retrouver, au-delà, une dimension mythique de l'existence dont la vigne et le vin sont la métaphore essentielle.
Trois jeunes garçons, dont le narrateur, ont quitté la vigne et le groupe des femmes et passant par des chemins détournés se retrouvent derrière la porte qui donne sur le pressoir, qui a pour eux "l'attrait du fruit défendu" car réservé aux hommes. Transgressant l'interdit, les enfants vont pénétrer dans ce lieu souterrain, magique et sacré où se déroule la cérémonie dionysiaque et virile.
III
Elle [une petite porte de sapin] faisait justement la limite entre le permis et le pas permis. "Ouvres-tu ?" - "Non, c'est toi…" - "C'est toi, je te dis…" On se poussait contre le panneau de sapin non recouvert de peinture et sommairement raboté ; et déjà, au travers des planches minces, un grand bruit se faisait entendre, venant nous tenter toujours davantage, quand on était ainsi deux ou trois petits garçons de dix ans : le bruit des travaux réservés aux hommes, les travaux sérieux, les grands travaux mystérieux du pressoir et de la cave, - après les humbles besognes de femmes où on nous avait réduits jusqu'alors. On comprenait pourquoi on était venus, et quel grand besoin nous avait poussés jusqu'ici, nous autres garçons de dix et douze ans, et c'était d'affirmer notre sexe et notre âge. Là-bas, ce n'était encore que la cueillette, et ce n'était encore que le raisin, c'était le fruit sucré bon pour les enfants et les femmes : ici déjà commençaient les régions de la fermentation, c'est-à-dire du vin, c'est-à-dire de la boisson qui convient aux hommes faits, c'est-à-dire qui nous convenait, à nous. On entendait le bruit des cuves et des baquets, on entendait le bruit des roues de la bossette à l'ouverture carrée, pleine jusqu'au bord de raisin foulé, qui roulait sur le pavé devant la porte du pressoir ; de temps en temps, une voix (la voix du maître de la maison) donnait un ordre, puis s'éloignait ; des pas continuellement montaient ou descendaient les escaliers de pierre à la voûte sonore qui menaient à la la cave ; - mais, plus haut et plus fort, quoique plus sourdement, comme par-dessous ces autres bruits et cependant les dominant, c'était un long craquement rauque, une plainte continuelle, un sourd gémissement jamais interrompu, dont les fondements mêmes de la maison finissaient par être ébranlés, tandis qu'il montait jusqu'au toit à travers les cloisons et les murs avec ses secousses, comme quand il y a un tremblement de terre. Et on avait cette plainte sous ses pieds, dans son dos, on la percevait tout ensemble avec les oreilles et le corps par une présence en même temps extérieure et intérieure, - quand ça chante, ça grince, ça craque, ça soupire, ça gémit : le pressoir et ceux qui y sont, ceux qui sont au treuil et à la palanche, ceux qui tournent la manivelle, et durement, des deux bras, et à deux, l'un d'un côté de l'arbre, l'autre de l'autre, font venir la grosse corde et la font s'y enrouler. Un grand travail douloureux, difficile, et cependant plein de promesses comme dans un enfantement, et auquel il semblait que toute la maison prît part avec sa pierre de taille, comme intéressée elle aussi à s'aider et s'aidant…
On se glissait par la porte entr'ouverte… (pp. 58-60)
IV
On vivait comme dans le Bible : j'ai connu Noé et ses fils. C'était le temps où on avait deux heures d'histoire sainte par semaine au Collège ; et dans le Livre il est écrit :
20) Noé qui était laboureur commença à planter la vigne,
21) Et il bu du vin, et en fut enivré, et il se découvrit au milieu de sa tente.
J'ai connu Noé vivant, je l'ai vu. L'odeur forte du vin nouveau qui montait de partout et venait flotter, la nuit, jusque dans les chambres, faisait que tous les siècles se trouvaient confondus. J'ai vu Noé découvert ; j'ai vu quand Cham est allé appeler ses frères. Il avait une ceinture rouge, un gilet à manches grand ouvert sur sa chemise de flanelle coton à rayures. Il riait sous sa moustache mouillée ; puis, d'un petit mouvement de l'index, sans rien dire, il fait signe à Sem et Japhet. Ah ! rien n'a changé : c'est toujours ce même père, c'est toujours notre père à nous, et il a été parmi nous, s'étant laissé surprendre par le vin. Cham hausse les épaules. Cham rit, il hausse les épaules ; puis il hausse de nouveau les épaules et rit de nouveau. "Hé ! dites donc, vous autres vous venez ?" Ils viennent. C'est le soir, c'est après qu'on a bu tout le jour, parce que le travail donne soif, - et il y a le vin ancien qui se boit, mais il y a aussi chez nous, l'automne, le vin futur qui vient s'y ajouter et il se respire ; il y avait ici comme deux vins, l'un qui se boit avec la bouche, l'autre qui vous entre dans la tête par le nez : rien n'a changé depuis le temps où Sem et Japhet étaient venus et Cham allait devant eux, en riant. On était là où l'homme reste toujours le même, et la grande odeur est restée la même, et ses effets sur le cœur de l'homme sont les mêmes, - rien n'est changé ici depuis le temps de Noé, parce que nous sommes tous sortis de lui. Je l'ai vu couché sur le pavé avec sa barbe, sa grande barbe blanche, et ses deux chiens courants rôdaient avec inquiétude autour de lui. Les femmes étaient allées dormir, tandis qu'on entendait le grand bruit du pressoir, qui, lui, ne cesse pas, qui ne cesse jamais ; et Cham était sorti le premier du pressoir où ses frères étaient restés. Il a été les chercher au pressoir et, se tenant debout sur la porte du pressoir, il les appelle. Noé n'entend rien ; Noé, quand ils viennent, ne les voit pas venir. Et depuis lors une malédiction est sur Chanaan, fils de Cham, et sur les enfants de Chanaan. C'est ce qu'on nous enseignait dans nos leçons d'histoire biblique, mais je n'aurais pas eu besoin de ces leçons. L'histoire de Noé, je l'ai vue, j'ai vu Noé ivre de vin nouveau. L'inlassable pressoir n'arrête pas de faire entendre sa plainte au fond de mon souvenir, accompagnée du monotone crépitement du cran d'arrêt tombant entre les dents de la roue d'engrenage. La bougie brûle et vacille dans l'énorme chandelier de fer forgé ; et est-on ici au cœur de la Palestine ou sur les bords du Rhône tout près encore de sa source ? mais considérez plus loin vers le sud la mer où il va se jeter. C'est vers elle que s'écoulaient aussi le torrent d'Hébron, les fontaines de samarie. Où sommes-nous ? et en quel temps? J'ai connu tout petit garçon qu'il n'y avait pas de temps, que le temps était une maladie et qu'on ne guérissait que quand on s'était défait de lui. Tout se ressemblait, il n'y avait plus qu'une seule espèce d'hommes. Et, sans doute, étaient-ce là des choses qu'on ne comprenait qu'à demi et sans mots précis pour les dire, si bien qu'on n'aurait pas su s'en expliquer, mais sûrement qu'on les sentait déjà et vivement, bien qu'elles n'eussent pas pénétré encore dans ces régions de l'esprit où les pensées prennent forme. On était alors tout frais dans la vie ; pourquoi ne l'aurait-on pas mieux perçue dans ce qu'elle a d'essentiel ?
On touchait encore à sa substance profonde, on n'avait pas été encore séparé de la vérité. O vendanges ! temps des vendanges ! je vous retrouve tout ensemble au fond de moi-même et au fond des siècles. Nous avions réussi en fin à nous introduire dans le pressoir, sans avoir été aperçus. Ici ne régnait jamais qu'un demi-jour à cause de l'éclairage insuffisant : est-ce au fond de mon souvenir que je retrouve ces images ou bien est-ce qu'elles n'ont jamais existé que dans une page de la Bible ? Tout se confond pour moi dans une confusion essentielle que l'unité des origines humaines seule permet, comme je veux le croire, comme je le croyais alors, comme je le crois toujours ; de sorte que, par-delà le temps et ces temps qui sont derrière nous, il n'y a plus de temps du tout. (Et, par-delà les temps qui sont en avant de nous, il n'y aura plus de temps non plus)[…] (pp. 61-65)
C.F. Ramuz, Vendanges, Editions Séquences, Rezé, 2002.
Scène de vendanges vers 1900 (Coll. Philippe Margot)
Photo prise depuis Epesses, avec la vue sur le vignoble pentu du Dézaley et la Tour de Marsens (Domaine des Frères Dubois) qui se détache dans le ciel. A l'époque, le raisin était foulé à la vigne dans les "brantes" ovales de 45 litres en bois cerclé. Le "brantard" transportait plus de 60 kilos qu'il versait dans la tine, pendant que le cheval faisait la navette avec un second char jusqu'au pressoir, au village.
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Chasselas Pully AOC 2002 "Clos de Pévret" du Domaine de la Commune de Pully (canton de Vaud) Web
Notes de dégustation : Couleur blanc jaune très léger avec des reflets verts, arôme discret, fruité, de pomme verte. En bouche : le CO2 donne une attaque très présente, de la vivacité, de la fraîcheur. Mais en finale, il tombe vite, il n'a pas de longueur. Vin désaltérant, à boire en cours d'après midi.
Chasselas Féchy AOC 2001 "Clos de Brez" du Domaine La Colombe, Raymond &
Violaine Paccot à Féchy (canton de Vaud) Web
Notes de dégustation : Vin limpide et brillant, comme l'ensemble des vins présentés. Il possède une belle robe jaune doré. Au nez dominent les agrumes : citron vert, pamplemousse. L'attaque est très vive, le co2 lui donne plus de longueur. Vin bien fait, agréable.
Chasselas Dézaley grand cru AOC 2001 "Dézaley Réserve" du Domaine Les
Frères Dubois et Fils à Cully (canton de Vaud) Web
Notes de dégustation : Belle robe jaune dorée, brillant, limpide, belles jambes, nez fruité, plaisant en bouche, plus riche, avec de la matière, du gras, perlant, acidité discrète et noisettée, de la longueur avec une pointe d'amertume agréable en finale. Excellent vin blanc.
Chasselas Yvorne AOC 2002 "Tréchêne" du Domaine de la Commune d'Yvorne
(canton de Vaud) Web
Notes de dégustation : Couleur jaune doré, belle présentation, brillant et limpide, nez discret, fruité, de la fraicheur due au co2, pas de longueur, manque de caractère.
Petite arvine surmaturée Valais AOC 2001 "Grain Noble" du Domaine de La
Liaudisaz, Marie-Thérèse Chappaz à Fully (canton du Valais).
Web
Notes de dégustation : Ce vin possède une belle couleur jaune vieil or et son nez est très plaisant, riche et complexe : miel, fruits exotiques. En bouche on remarque le bon équilibre entre le sucre et l'alcool, une sensation de fruits confits, de raisins secs, qui procure de la longueur ; une pointe d'acidité en finale donne au vin plus de discrétion vis à vis des sucres. Excellent vin avec une vraie typicité. Un grand moment de dégustation !
Articles et liens sur Marie-Thérèse Chappaz :
"Marie-Thérèse Chappaz, la fée des liquoreux" (Plaisirs-Gastronomie, avril 2004)
Les femmes et le vin - Marie-Thérèse Chappaz, Valais (Article de Catherine Miskiewicz
paru dans le magazine Femina) La reine des vins
(Article de Renaud Michiels, photos Daniel Stucki, Migros magazine, Nº 39, 27 septembre 2005) - Télécharger la version PDF
Marie-Thérèse, Vigneronne.Tomates, kiwis et Syrah!
"Valais, dame, reine : atout coeur pour Marie-Thérèse Chappaz !" (Le Rouge & Le Blanc N° 84 - printemps 2007)
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