Yves Charnet, le poète torero : (auto)portraits en artiste romantique à partir de la trilogie Petite chambre, Lettres à Bautista et Miroirs de Julien L.
"Je ne suis pas né à Nevers, en 1962. Je hante les abattoirs de Séville. Des bouchers y rougissent leurs épées de mort. Quelque chose en moi date de 1832. Je hante le manoir du Cayla. Des orphelins y noircissent leurs carnets intimes. Aujourd'hui j'écris pour retrouver ma part espagnole. J'assiste aux métamorphoses d'un inconnu. Orphelin de mère, matador de toros - qui suis-je ? Je peins une fois de plus l'autoportrait d'un autre."
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Ecrivant ces lignes dans la maison-musée du poète Maurice de Guérin, je ne sais pas encore que cette expérience du Cayla va changer, et pendant plus d'une décennie, ma recherche & mon travail de prosateur. C'était pendant l'été 1999, sur le parapet brûlant de la petite terrasse qui donne sur cet horizon campagnard, dans un coin secret du Tarn. L'autobiographe que je crois être - le styliste de l'intime que, depuis Proses du fils (1993), quatre livres ont fait de moi - va continuer sa quête de l'identité en se regardant dans le miroir des autres. Maurice de Guérin, d'abord : une figure du premier romantisme à la recherche du poème en prose, Le Centaure, comme de la prose en poème, Le Cahier vert. Deux toreros français, ensuite : Juan Bautista & Julien Lescarret - en infléchissant à ma manière la fameuse comparaison leirissienne à propos de "la littérature considérée comme une tauromachie". L'épreuve d'un moi vide se laissant envahir par des fantômes d'artistes reconnus comme étrangement fraternels va donc traverser trois livres successifs qui composent une sorte de trilogie dont le titre pourrait être celui que je propose pour notre rencontre du 7 décembre 2012 que Xavier Daverat, qui fut un actif témoin de ce travail autofictif, a bien voulu me faire l'amitié d'animer. Aujourd'hui que ce cycle du moi-comme-un-autre est achevé, je voudrais, répondant aux questions du modérateur comme du public, me demander comment peuvent se relire & se relier Petite Chambre (La Table Ronde, 2005), Lettres à Bautista (La Table Ronde, 2008) & Miroirs de Julien L. (Au Diable Vauvert, 2012).
Yves Charnet, 25 novembre 2012
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Tauromachie, poésie et quête de soi comme des voies parallèles.
Petite chambre
Le Cayla : une demeure perdue dans la campagne tarnaise où Maurice de Guérin (1810- 1839) et sa sœur Eugénie (1805-1848) se consumaient. Cet étrange "couple" de poètes est resté mythique. Maurice de Guérin, auteur du fameux Cahier vert, a d'une certaine façon inventé l'intimisme, dans le sillage de Chateaubriand. Maurice et bien d'autres se sont réclamés de lui. Poète lui-même, Yves Charnet a séjourné au Cayla dans chacune des quatre saisons. Tout en évoquant la mémoire de Guérin, il a médité sur les avatars et la postérité du Romantisme. De Nerval à Leiris - et au-delà.
Lettres à Bautista
"On ne sait jamais où sont les toreros. Quand ils ne sont pas au cœur de leur quête. Pieds joints dans le cercle de leur folie."
Ces lignes signent le nouveau pacte littéraire d'Yves Charnet. De 2001 à 2006, il a suivi de près la carrière de l'une des grandes figures actuelles de la tauromachie française, le torero d'Arles, Juan Bautista. De la brusque interruption de sa carrière, en 2003, à son retour réussi en 2005, l'écrivain assiste à la métamorphose consacrant définitivement le torero lors du triomphal été 2006 qui culmine, le 15 août à Dax, dans une légendaire faena sous le déluge.
Comme il l'avait déjà fait avec Maurice de Guérin, dont le fantôme romantique hantait son précédent livre, Yves Charnet a pris le parti de s'adresser directement à ce double fabuleux. Pour approcher l'énigme de cet étrange destin consistant à rechercher, devant les toros, une beauté jusque dans mourir. À l'écart des livres habituels sur la tauromachie, ces lettres constituent un étonnant (auto)portrait de l'artiste en torero. Des arènes du Sud-Est à celles du Sud-Ouest, ces notes d'un voyage initiatique sont aussi la géographie d'une âme. Elles parviendront à ceux qui se passionnent pour les choses de l'arène comme à ceux qui se demandent de quelle étoffe les rêves sont faits. Toréer, écrire : deux arts réunis dans une même passion.
Miroirs de Julien L.
Le poète poursuit sa quête autobiographique, d'arènes en arènes, pendant trois saisons, dans les pas du torero landais Julien Lescarret.
"Toulouse, 1er septembre 2009
J'écris ce livre avec tout ce que je n'arrive pas à mettre dedans. Pas à saisir. Cette joie, par exemple, propre à julien. Cette joie d'ange. C'est l'autre côté de mes hantises. De mon angoisse du noir. Ses cabrioles devant la mort dont julien reparle en rigolant contrastent avec mon sentiment tragique de la vie. Toute cette gravité dont je me gave jusqu'au dégoût, julien L. J'aime ce garçon pour sa façon de faire danser l'âme. Tourner la tête, jouer le jeu. Je voudrais découvrir les secrets de l'instant. Le bon sitio. Prendre, une bonne fois, le pouls du présent. Prendre Julien pour Julien. Je voudrais avoir rendez-vous avec moi. Même tard dans ma vie. Il serait temps que tu viennes. Yves."
Parution conjointe du livre de Julien Lescarret : Au risque de soi, Editions Au diable vauvert, 2012.
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Intervenants
YVES CHARNET
Ancien élève de l'École Normale Supérieure (Ulm), Yves Charnet est responsable des enseignements de culture générale à SUPAERO (Toulouse) depuis 1996. Intervenant comme critique dans différentes revues (Europe, Prétexte, Scherzo), il participe à de nombreux colloques en France et à l'étranger. Il est notamment connu pour ses nombreux travaux sur Baudelaire, et les figures les plus marquantes de la poésie contemporaine.
Son travail d'écrivain se situe à la croisée de la poésie et de la prose, de l'autofiction et de la poétique du carnet.
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XAVIER DAVERAT
Professeur de droit privé à l'université de Bordeaux 4, Xavier Daverat est spécialiste de la propriété littéraire et artistique. Il travaille également sur la littérature, le cinéma et la musique d'Amérique du Nord. En savoir plus
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Vins dégustés
[...] le paradoxe en matière d'art, donc aussi d'art de cultiver la vigne et d'élever le jus de la grappe à l'impondérable dignité du vin, le paradoxe est, je le sens, la règle et la formule. Règle et formule sans cesse contrariées, sans cese maîtrisées au bord de la chute et dans l'acceptation, la reconnaissance du risque. L'art du vigneron tien de l'équilibrisme et de la gageure.
Nous ne parlons bien entendu que des vignerons authentiques, et non des faiseurs de laboratoire, des tripatouilleurs de cornues, des escrocs de la ficelle et des chantres (ou chancres) du "goût belge" et du monocépage pisseux à la mode amerloquienne.
Liste donnée sous réserves de légères modification
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.
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