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Le 5 octobre 1895 Poincaré accompagne la dépouille mortelle de Louis Pasteur (Dole, 1822 - Paris, 1895) : "Pasteur a obéi toute sa vie à l'idéal le plus pur, à un idéal supérieur de science. L'avenir le rangera dans la radieuse lignée des apôtres du bien et de la vérité."
In Pasteur veritas ! pourraît-on dire, en travestissant la formule célèbre du philosophe Sören Kierkegaard qui, dans In vino veritas (1844), réécrit le vin rabelaisien et le banquet de Platon en quête de la "vérité cachée" de l'un et de l'autre. Ce qui est vrai, c'est que pour Platon le vin est le lait des vieillards ! In vino sanitas ! In vino felicitas! Heureux vieillards, ceux qui suivent ce précepte, car ils vivront encore plus vieux et plus heureux…
Il y a ainsi toute une tradition hygiéniste dont Pasteur, précisément, a été l'un des chantres avec notamment la publication, en 1866, de ses Etudes sur le vin : "le vin de France aliment, c'est-à-dire le vin naturel […] peut être, à bon droit, considéré comme la plus saine, la plus hygiénique des boissons ". Voilà qui est dit. La formule tant de fois reprises, qui fait du vin un aliment bon pour la santé, justifie la place du vin dans notre civilisation.
"Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons." Pasteur. Association de Propagande pour le vin. Béziers.
Certes, le débat hygiéniste de la fin du XIXe et du début du XXe englobe également l'alcoolisme. Mais après la "victoire" identitaire et morale du "Père Pinard" en 14/18, l'idée que "le vin, c'est la santé" va également s'imposer dans la conscience collective surtout dans les années 1930, ouvrages scientifiques à l'appui, comme celui d' Edouard Barthe : La réhabilitation du vin par la Faculté de Médecine. Ses qualités alimentaires et thérapeutiques (Paris, France-Affiches (v.1930) ; in-8 de 32 p.). En 1933, les cartes routières Taride vantent les bienfaits du vin en se référant à Pasteur. Chose impensable aujourd'hui, où la mode est plutôt à l'alcootest et au slogan "un verre ça va trois verres bonjours les dégâts"!
Toujours en 1933, Leonetto Cappiello [1875-1942], conçoit une superbe lithographie éditée par le ministère de l'agriculture dans le cadre d'une campagne publicitaire pour les vins de France : "Buvez du vin et vivez joyeux". Dans cette image, un couple débordant de bonheur sort d'une France débordante de raisin !
Leonetto Cappiello [1875-1942], "Buvez du vin et vivez joyeux", 1933.
Lithographie éditée par le ministère de l'agriculture.
En 1935, Raymond Brunet établit dans le vin la source du bonheur et de la santé :
Les effets bienfaisants du vin se font sentir à l'homme durant sa vie entière, car s'il fortifie le corps, il console aussi l'âme et relève le moral quand il est atteint par les soucis de la vie.
Plus tard, il lui conserve la verdeur, quand il est exposé aux injures de l'âge : il le préserve de l'anémie, de la neurasthénie et de l'ennui qui le rend à charge à ses semblables.
Il prolonge même sa carrière et soutient ses pas chancelants, et c'est presque un truisme de rappeler qu'on le nomme communément le lait des vieillards, parce qu'il produit en eux les mêmes effets fortifiants que le lait chez les petits enfants. Cette force n'est-elle pas encore un élément de joie, et n'est-il pas vrai de dire que se priver de vin, c'est se priver de gaieté et de bonheur ?
[…]
C'est pourquoi, s'il est un proverbe ancien qui dit : "In vino veritas", on pourrait le paraphraser en disant : "In vino felicitas. "
Raymond Brunet, "Le Bonheur et le vin", in Curnonsky et Gaston Derys, Anthologie de la gastronomie française, Paris, Delagrave, 1935, p. 147.
Dans le style caractéristique de la chanson populaire française du début du XXe siècle, c'est-à-dire sur un mode humoristique et familier, Lucien Boyer oppose plus précisément les avantages du vin à l'eau.
Le vin
Celui qui boit du vin a toujours le sourire,
L'amour et la gaîté le suivent en tous lieux.
Il garde en vieillissant deux choses qu'on admire :
Du soleil dans le cœur, du printemps dans les yeux.
Celui qui boit de l'eau jaunit comme la cire :
On redoute et l'on fuit ses propos ennuyeux.
Il passe, dans la vie, ainsi qu'un triste sire
Repoussé par l'amour et vomi par les dieux.
Du vin jaillit l'espoir ; de l'eau naît la défaite :
Ils sont si différents que l'on reste saisi
Tellement, tellement l'antithèse est complète.
Pavoisant l'existence ainsi qu'un jour de fête,
Le vin joyeux nous laisse un goût de reviens-y
Et l'eau guérit la soif… faut-il qu'elle soit bête !
Lucien Boyer, "Le Vin", in Curnonsky et Gaston Derys, Anthologie de la gastronomie française, Paris, Delagrave, 1935, p. 164.
Au début des années cinquante, on note une évolution vers une prise de conscience que l'abus d'alcool peut être nocif pour la santé. Le buvard édité par le Haut Comité d'Etude et d'Information sur l'Alcoolisme "Santé Sobriété" associe l'image de Louis Pasteur, dont personne ne conteste l'autorité, à la sobriété. La petite phrase du savant sur le vin boisson hygiénique semble totalement oubliée !
Destins exemplaires : Louis Pasteur, "Toi aussi tu seras sobre !" Buvard édité par le Haut Comité d'Etude et d'Information sur l'Alcolisme "Santé Sobriété".
Après une période d'individualisation de l'alcoolisme de 1850 à 1960, pendant laquelle une partie du corps médical tente de dissocier le vin de l'alcool (ce qui permet à certains de déguster en toute quiétude le contenu de leur cave et à d'autres de croire qu'ils ont arrêté de boire lorsqu'ils ne consomment plus que du vin), le vin perd son statut de médicament dont parlait déjà Hippocrate, pour n'être plus, si l'on peut dire, qu'un aliment préventif de certaines pathologies. C'est le discours des défenseurs du "French paradox", concept apparu aux Etats-Unis au début des années 90, dans un article de la revue Health, et surtout à la suite d'un reportage diffusé par le magazine télévisuel Sixty Minutes, en novembre 1991. Dans cette émission, le nutritionniste et épidémiologiste français Serge Renaud (Université de Bordeaux) remarquait que les Français, pourtant "bons vivants" et consommateurs de nourriture riche en graisse, étaient moins sujets aux maladies cardio-vasculaires que d'autres peuples occidentaux, notamment les américains, et cela grâce au régime alimentaire méditerranéen. Par la suite, d'autres chercheurs français et américains ont démontré que les vertus protectrices du vin, qui pouvaient se retrouver dans d'autres boissons alcoolisées, auraient pour origine la "molécule alcool".
Quoi qu'il en soit, il est certain que le débat vin et santé reste aujourd'hui plus ouvert que jamais et il concerne tous les acteurs de la vie sociale, politique, économique et culturelle. La loi Evin du 16 janvier 1991 qui réglementait la publicité sur les vins et les alcools, déjà modifiée en 1994, a été à nouveau amendée le 13 octobre 2004 pour faciliter la promotion du vin : il est désormais possible de vanter sa couleur, son odeur, son goût, son cépage. Cette démarche doit tendre à une consommation "intelligente" du vin, dans laquelle la notion de connaissance joue un rôle essentiel pour "boire moins et mieux".
Mais dans le même temps, une campagne publicitaire télévisée, menée par le ministère de la Santé et l'Institut national de prévention sociale et d'éducation pour la santé (Inpes) du 14 novembre au 7 décembre 2004, montrait un sablier duquel s'écoulaient des gouttes de sang correspondant à la consommation de vin. Cette image, et le slogan qui l'accompagnait : "Alcool, votre corps se souvient de tout", ont été perçus par certains comme une nouvelle "diabolisation du vin", jouant sur les phantasmes les plus archaïques.
mise en ligne : 01/03/2005
POUR CITER CET ARTICLE :
Amancio Tenaguillo y Cortázar, "De Pasteur au "French Paradox" et à la loi Evin", in "Le vin social et politique", Cepdivin.org, mars 2005, [En ligne] http://www.cepdivin.org/articles/tenaguillo01.html (Page consultée le ).
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