Le vin nouveau (Chalosse)
Le soleil s'était bien installé dans les vignes de Chalosse, face aux Pyrénées toutes bleues et au-dessus des grandes landes toutes noires. Le soleil, entre les branches, frisottait sa barbe rousse.
- Comme ces paysans travaillent bien, pensait-il, c'est un véritable régal. Ils sont hardis et vaillants. Je vais les récompenser, ils le méritent tant. Je vais donc rester dans leurs vignes jusqu'à la vendanges.
Le soleil resta donc dans les vignes de Chalosse, alors qu'on l'appelait de tous côtés. À Bordeaux par exemple, ou en Espagne. Rien n'y fit. Il se sentait délicieusement bien en Chalosse.
Le soleil resta donc dans les vignes de Chalosse, depuis la naissance des grains jusqu'à leur maturité.
- Qu'ils aient du bon vin, se disait le soleil, qu'ils chantent gaillardement et l'hiver prochain, ils se rappelleront de moi.
Patiemment, il caressa les vignes, protégea les raisins qui devinrent de petits soleils miniatures, joufflus, transparents, chauds et juteux. Abeilles et vignerons étaient satisfaits : le vin nouveau serait un vin de paradis.
Mais il y avait Yanot, le vigneron de Chalosse, qui aimait le plus le vin, sans jamais d'ailleurs être ivre. Il aimait surtout les vignes où jouait le vent et sur lesquelles, dès le mois de septembre, passaient les vols bleus des palombes. Il passait au moins quatre jours de la semaine à vagabonder dans ses vignes, dormant dans de petites maisons de pierres sèches qu'il s'était construites.
Yanot était tombé malade.
- Faites, priait-il, que je ne quitte pas cette terre avant d'avoir bu le vin nouveau. Ce ne serait pas juste, il va être si bon. Laissez-moi boire un seul verre.
Eh non, cela ne fut pas possible. Yanot mourut deux jours avant la vendange, la tête tournée vers ses vignes, la bouche ouverte.
Le surlendemain, le vin commença a couler dans le pressoir. On ne chanta pas comme de coutume et l'on pensa au pauvre Yanot, mais l'on ne put s'empêcher de boire le vin nouveau : il était si parfumé, si sucré ! Ah oui ! le soleil s'était vraiment bien appliqué ! Ah ! si Yanot en avait bu quelques gouttes à peine, il ne serait pas mort. Non, non, ce n'était pas juste.
Vers minuit, alors que l'on achevait de presser les grappes, Marceline, la fille de Yanot, poussa un cri. Qui donc, là-bas, dans l'ombre avait remué ? Elle avait cru voir comme une ombre blanche et puis la porte toute seule avait remué.
- Qu'est-ce que tu as ? lui demanda son frère.
- Peut-être, dit-elle toute tremblante, Yanot est revenu.
Tous les autres qui étaient là ne dirent rien. S'ils étaient aujourd'hui saint Pierre, pour sûr qu'ils auraient laissé Yanot sortir du paradis pour aller faire un petit tour sur terre. On offrit un nouveau verre à la fille de Yanot.
- Allez, bois encore un peu de vin.
- Pose le verre sur cette pierre plate, j'attendrai un moment.
La porte, poussée par un petit coup de vent, s'ouvrit et éteignit les chandelles. Pendant quelques secondes, tous gardèrent le silence et l'on entendit comme quelqu'un qui buvait.
Quand la lumière revint, le verre, sur la pierre, était vide.
Le lendemain, Marceline en faisant la vaisselle se rendit compte que le verre était un peu fêlé. Mais elle ne dit rien. Pour elle, comme pour les autres, Yanot, ce soir-là, était revenu.
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